La digiscopie est une technique photographique parmi tant d'autres. Toutefois de plus en plus de matériels mis à la disposition de nos amis ornitho et observateurs éclairés du monde aérien donnent à cette discipline un élan novateur et rafraichissant, bousculant un petit peu nos repères lorsque l'on parle de téléobjectifs 300, 400 mm ou plus.
Au sein de ce forum quand on parle de digiscopie, une référence s'impose sans cesse pour la qualité et la diversité de ces photos. Sa devise "être simple pour être vrai.." . Il nous fait la joie de consacrer un peu temps afin de répondre à vos interrogations Bonjour à tous !
Pas facile d'être à son tour "sur le grill", de se présenter et de parler de soi !
Moi, c'est Roland RIPOLL. J'ai 57 ans, je suis instituteur spécialisé et j'enseigne à des enfants handicapés, déficients intellectuels dans un institut médico-éducatif. Je suis marié, j'ai 3 enfants dont deux filles qui ont choisi, elles aussi, de devenir enseignantes...
Ce n'est pas banal, mais, pour l'anecdote, je suis né en prison, plus précisément dans un pénitencier. Mon père y était gardien et nous étions logés à l'intérieur de l'établissement. Beaucoup de femmes dans les années 50 en Algérie accouchaient encore à domicile. Voilà le pourquoi de cette étrangeté..
J'ai la chance d'habiter en Provence, à une heure de route à peine de la Camargue, de la Crau, des Alpilles, du Luberon, du Mont Ventoux et de bien d'autres sites ornithologiques où, bien évidemment, j'aime à me rendre dès qu'il fait beau et que j'ai un moment de libre.
Je ne sais pas véritablement quand est né ma passion pour les oiseaux. Je crois que je l'ai toujours eue. Peut être parce que dans mes chromosomes, j'ai, bien ancré, le gène de la liberté et que les oiseaux, avec la faculté qu'ils ont de voler, de fuir, de partir, de voyager, de prendre de l'altitude et d'aller ailleurs quand ils le veulent, symbolisent bien cette possibilité d'être libre à tout instant.
Je suis venu tardivement à la photo. J'ai auparavant longtemps pratiqué l'observation orntiho. Le déclic a été l'apparition sur le marché des appareils photos numériques compacts. Je n'ai pas inventé la digiscopie, mais j'y avais pensé bien avant 1999 date à laquelle la digiscopie aurait pris naissance. Quelques tentatives bricolées à main levée avec un réflex argentique se révélant minables et désastreuses, j'en avais conclu à l'impossibilité de cette technique et abandonné le projet en regrettant toutefois de ne pas pouvoir transférer sur une image la qualité de l'observation faite à la longue-vue.
Ce n'est que plus tard, en 2005, après avoir vu bon nombre de digiscopies sur Internet, que cela m'a remotivé et que je me suis équipé, classiquement, avec un Coolpix 4500 et un Coolpix 995. Je n'ai pas testé d'autres matériels. En tant qu'ornitho, je possédais déjà une longue-vue KOWA dont j'étais très satisfait pour la simple observation . Je me suis seulement bien renseigné sur la qualité des APN et je n'ai rien trouvé de mieux que les bon vieux Coolpix 995 et 4500 que j'ai d'ailleurs à l'époque acheté d'occasion. De toute façon, je ne suis pas du genre à changer de matériel pour la frime ou au gré des modes, des caprices, des gadgets ou des nouveautés technologiques.
Pourquoi avoir choisi la digiscopie ? Parce qu'elle permet d'approcher – ou plutôt de rapprocher - les oiseaux sans les déranger, dans la limite de leur distance de fuite (on peut, par exemple, photographier un héron à 100 mètres !) de saisir en quelque sorte la nature au naturel; et d'autre part, parce que... je n'ai pas trahi l'enfant que j'étais. Enfant, j'ai toujours eu une grande passion,, un grand amour pour les oiseaux et mon rêve était de pouvoir les tenir dans la main, de les toucher, de les protéger, de sentir leur chaleur, la palpitation de leur cœur, la douceur de leur plumage.
Avec les rapprochements incroyables que permet la digiscopie, on peut presque avoir l'oiseau dans ses mains, on peut presque le toucher. On a comme une intimité, une complicité, voire une communion avec la nature. Cela s'appelle parfois la grâce... Qu'on ne s'étonne donc pas de mes plans rapprochés, souvent à la limite du cadre. Gros plans que, sur les forums photos, les photographes me reprochent avec cette critique devenue agaçante à force d'être répétée: "trop serré, trop centré". Mais dois-je révéler un secret d'enfance pour justifier mes cadrages ?
Les digiscopeurs - que j'appelle volontiers les "digiscopains" - viennent le plus souvent du monde ornitho. Ce sont des gens qui ont d'abord eu le plaisir et la passion de l'observation et qui, plus tard, petit à petit, pour diverses raisons, se sont tournés vers la photo mais en gardant toujours ce sens aigu et si particulier de l'observation, en ayant davantage le goût du détail que des prétentions artistiques. Cela ne veut pas dire qu'on ne puisse pas faire de belles digiscopies. Mais une image faite en digiscopie sera belle non pas selon les critères habituels (cadrage, lumière, composition, contraste, etc) mais parce qu'elle met l'oiseau en valeur. C'est le sujet qui est mis en avant, pas le photographe...
Si, étymologiquement, digiscopie veut dire "voir (scopie) en numérique (digi)", le digiscopeur est également là pour "donner à voir" ce qu'on ne verra jamais à l'œil nu: détails insoupçonnés, nuances du plumage, mimiques, poses adoptées par l'oiseau lorsqu'il ne se sent pas en danger (l'homme en effet, se trouvant plus loin, est perçu comme moins menaçant).
Il faut peut être rappeler que la digiscopie est une technique qui consiste à coupler ou à associer (via ou non des bagues d'adaptation car certains digiscopent à main levée !) une longue-vue et un appareil photo numérique. Ce dispositif permet de bénéficier d'un fort pouvoir de rapprochement grâce à l'oculaire de la longue-vue (x20, x30 ou zoom x20 x60) et grâce au zoom de l'APN (x4 le plus souvent). La focale ainsi obtenue variant de 3 000 mm à plus de 4 000 mm ! En appliquant l'objectif de l'APN sur l'oculaire de la longue-vue et en veillant au bon alignement des axes sous peine de vignetage (franges sombres aux quatre coins de l'image), on photographie ce que verrait l'œil au travers de la longue-vue.
Je crois que les possesseurs de réflex (avec les rafales, la possibilité de monter jusqu'à 3200 iso, les viseurs bourrés de collimateurs, l' autofocus, le grand écran haute définition, le stabilisateur d'image, etc...) n'imaginent pas du tout les difficultés et par conséquent le grand mérite des digiscopeurs à sortir des images de qualité. Digiscopeurs qui, je le rappelle, font une MAP 100% manuelle et n'ont pas de stabilisateur d'image ! Sans compter qu'ils ne peuvent guère utiliser que les 100 iso car à 200 iso, il y a déjà du grain ou plutôt du bruit comme on dit aujourd'hui.
Personnellement, je suis équipé avec le matériel suivant: longue-vue KOWA TSN 884 (droite) munie de l'oculaire zoom x20 x60 + NIKON Coolpix 995 (plus récemment le CoolpixP5100) ce qui permet d'obtenir une focale de 3 500 mm environ ! A cela il faut rajouter un trépied stable et solide, et quelques accessoires très utiles: un pare-soleil d'écran (que l'on bricole soit même avec du carton et deux élastiques), un viseur point-rouge qui fait gagner du temps et de la précision dans la visée et éventuellement un déclencheur souple pour éviter toute vibration.
Pour faire de bonnes images, il n'y a pas de secret. il faut:
Etre équipé d'un matériel de grande qualité est une condition quasi obligatoire. Il faut le dire et le redire: on ne peut pas faire de très bonnes images sans une longue-vue haut de gamme (apochromatique, verres traités HD ou ED, etc...).
De bonnes conditions météorologiques ont aussi leur importance. Il faut toujours privilégier une grande luminosité. Les sous-bois, les ciels gris et nuageux, les arrière-plans sombres sont à proscrire. Il faut également éviter et parfois renoncer à digiscoper quand il y a de fortes rafales de vent ou de fortes chaleurs qui créent un voile atmosphérique ou des turbulences générateurs de flou.
Une grande stabilité lors du déclenchement est primordiale. Le pouvoir de rapprochement est tel (x60, x80) que le moindre bougé engendre du flou. Un trépied robuste et solide est plus que recommandé, ainsi qu'une excellente solidarité APN/longue-vue. Un déclencheur souple ou une télécommande peuvent alors s'avérer utiles.
Une vitesse d'obturation élevée (on ne devrait jamais descendre en dessous de 1/125°) est indispensable. L"image sera d'autant plus nette que la vitesse sera grande.
Une sensibilité iso au minimum. Selon les APN, 64 iso ou 100 iso sont des valeurs idéales. On sait tous que les compacts tolèrent généralement très mal les hautes sensibilités et ne gèrent le bruit que médiocrement.
Une mise au point particulièrement précise est absolument nécessaire. Rappelons que la MAP se fait à vue sur l'écran de l'APN (d'où l'importance d'un écran large et de haute définition) en tournant manuellement la mollette de la longue-vue. La MAP est toujours le point le plus délicat de la digiscopie. Avoir une netteté parfaite sur l'écran de l'APN n'est pas aussi évident que cela. La MAP est d'autant plus difficile à faire que le sujet est éloigné.
Etre au plus près du sujet. Se rapprocher au maximum, en gardant la bonne distance de prise de vue, permettra d'obtenir des images plus nettes et plus piquées.
Enfin, il ne faut pas oublier le plaisir, un facteur déterminant dans la réussite d'une image. De ce point de vue, la digiscopie est source de grandes joies: marcher, observer, écouter, avoir tous les sens en éveil, attendre, apercevoir au loin un oiseau perché, s'approcher, se cacher, cadrer, puis, le cœur battant, déclencher enfin. Que d'émotions irremplaçables !
Mais l'important pour moi, ce n'est pas le matériel ou la technique employés c'est l'amour et la générosité que l'on met dans ses images. L'amour de la nature, en la célébrant, en témoignant de sa beauté, de sa fragilité, de sa rareté et la générosité de vouloir partager ses images, d'être comme le disait Paul ELUARD un "frère voyant", afin de montrer aux autres ce qu'ils ne voient pas, ce qu'ils n'ont pas la chance ou la possibilité de voir...
En parlant d'émotions, la plus grande a été le jour où, au bord de la Durance, s'est établie entre un Petit Gravelot et moi une relation de confiance et de respect. Il s'est posé. Il est venu vers moi. J'étais pourtant bien visible, pas du tout caché ni en tenue camouflage.
C'était en fin de journée, j'étais sur une digue et je photographiais au loin des grèbes huppés sur le plan d'eau. Il s'est approché. Il m'a regardé. Il s'est encore approché et j'ai pu voir dans son gros oeil rond qu'il n'avait pas peur.. Je n'ai plus bougé, je n'ai plus respiré, je n'ai même pas osé appuyer sur le déclencheur (de toute façon, à moins de deux mètres, il était trop près). J'avais des crampes au doigt, des crampes aux jambes mais cela a été un instant magique, incroyable. On est resté comme cela tout les deux à se regarder pendant cinq bonnes minutes. C'est long. Quelle émotion ! Mon cœur s'est un peu affolé , je pense que le sien aussi devait être affolé. Et puis, il s'est envolé et moi j'ai mis du temps à m'en remettre...
Qu'était-il venu me dire ce Petit Gravelot ? Le saurais-je un jour ? Il me reste heureusement ce portrait avec la goutte d'eau au bec, une image qui a beaucoup de valeur pour moi.
Digiscoper les petits oiseaux n'est pas chose facile: ils sont vifs et remuants et en digiscopie, on photographie "à l'ancienne": MAP 100% manuelle (et qu'il faut refaire chaque fois que l'oiseau bouge !), pas de collimateurs et pas de stabilisateur d'images. Mais c'est toujours un grand plaisir de ramener ce genre de clichés (zoom x20 et distance 10 mètres environ):
La Camargue est un lieu où je me rends souvent. Etant instituteur, j'ai la chance d'avoir, comme les enfants, des mercredis de repos et des jours de vacances où j'en profite pour "aller aux oiseaux" et retrouver dans la nature cette paix, ce bien-être, cet émerveillement, ces odeurs, ces couleurs, ces bruits, cette sensualité, cette communion avec la vie qui me sont essentiels. Ce sont des moments de joies simples, de pur bonheur où l'on redécouvre un peu l'éternité des choses: un héron cendré en 2009 est pareil à un héron cendré d'il y a deux mille ans et un ciel d'orage, le bruit du vent dans les roseaux ou sa caresse dans les plumes d'un oiseau n'ont pas changé non plus. Il n'y a alors plus de temps, plus de lieu... ce sont des moments d'absolu !
Mais j'aime aussi beaucoup faire des plans rapprochés, des portraits. Petite précision: les images ne sont pas recadrées, ce sont toutes des pleins écran d'APN. J'utilise alors, lorsque les conditions le permettent, le zoom jusqu'à x45 (mais il ne faut surtout pas le dire aux débutants, car on ne devrait jamais dépasser au grand maximum les x30). Les oiseaux sont entre 15 et 20 mètres environ...