Bonjour à tous,
Me revoici pour vous proposer un nouveau chapitre de la vie secrète et complexe des marmottes alpines !
Comme prévu, nous parlerons aujourd'hui de :
La dominanceChez une espèce sociale comme la marmotte alpine, le statut de dominant est crucial pour un individu, non seulement pour lui assurer le succès reproducteur mais aussi pour en retirer des avantages au niveau de la santé et de la physiologie.
Les individus subordonnés peuvent atteindre le statut de dominant soit en remplaçant le dominant de leur groupe après sa mort, soit en se dispersant et en remplaçant le dominant d'un autre territoire. Cette dispersion est souvent limitée dans l'espace puisque plus de 80% des individus dominants capturés dans la zone d'étude de la Grande Sassière étaient nés dans cette même zone (Dupont
et al., 2015). Encore une fois, on constate des différences entre les mâles et les femelles, car les femelles héritent plus souvent leur position de dominantes au sein du groupe originel que les mâles. En effet, 35% des femelles et 15% des mâles dominants occupent leur territoire natal (Lardy, 2012). Il est important de souligner que les individus qui se dispersent ne deviennent jamais subordonnés dans leur nouveau groupe. La dispersion est donc très risquée et ces individus ont de grandes chances de mourir durant l'hiver s'ils n'ont pas atteint le statut de dominance. Lorsqu'un disperseur arrive sur un territoire déjà occupé par un dominant, il peut tenter de l'exclure au terme d'une confrontation violente qui n'a cette fois rien d'un jeu.
Nous avons vu précédemment que seul le couple dominant avait normalement accès à la reproduction. Le mâle dominant essaie d'empêcher les mâles subordonnés de féconder la dominante, mais sa vigilance peut parfois être déjouée. En revanche, les femelles subordonnées ne deviennent presque jamais mères. Comment se fait-ce ? Sont-elles stériles ? Loin de là. Comme l'ont démontré Hackländer
et al. (2003), les femelles subordonnées sont parfaitement fertiles, comme indiqué par leur haut niveau d'œstradiol (une hormone femelle) durant la période de reproduction. Elles débutent même parfois une gestation ! Cependant, ces chercheurs ont aussi montré que la femelle dominante exerce ce que l'on peut appeler une "suppression reproductrice" durant cette période. Si une femelle subordonnée entre en gestation, la dominante va initier bien plus d'interactions violentes à son encontre, ce qui va beaucoup augmenter son stress, et donc son niveau de glucocorticoïdes (hormone du stress). Au final, la subordonnée trop stressée ne pourra donner naissance à ses marmottons "illégitimes".
Enfin, on peut se poser cette question : certains individus sont-ils prédisposés à devenir dominants ? Selon leur condition physique ou leur caractère ?
De nombreux facteurs ont été avancés par différents chercheurs pour expliquer l'accès à la dominance chez les animaux sociaux : la condition physique (Poisbleau
et al., 2006), des facteurs génétiques (Dewsbury, 1990) ou l'expérience (Hansen & Slagsvold, 2004).
Chez la marmotte alpine, Dupont
et al. (2015) avancent une explication surprenante. En effet, la probabilité d'atteindre la dominance pour un individu serait influencée par la composition en mâles et en femelles de la portée dont il est issu. Par exemple, nous avons vu qu'un nombre non négligeable de femelles héritait le statut de dominance dans leur groupe natal (35%). Une femelle ayant de nombreuses sœurs aurait donc moins de chances d'atteindre la dominance et serait en compétition avec elles. Le problème se pose moins pour les mâles car ils se dispersent davantage. Mais de manière inattendue, la probabilité d'un mâle d'atteindre la dominance se réduit également à mesure que le nombre de ses sœurs augmente... Pour expliquer cela, il est possible d'envisager des effets de l'exposition à des hormones
in utero. Un individu qui se développe dans une portée comportant plus de mâles a plus de chances de se trouver proche d'un fœtus mâle, et donc d'être en contact avec des hormones mâles (androgènes). A l'opposé, pour une portée comportant beaucoup de femelles, les fœtus ont davantage de chances d'être en contact avec des hormones femelles (œstrogènes). Cela a des implications pour la vie future de tous les individus d'une portée. Par exemple, Hackländer & Arnold (2012) ont montré que les femelles nées dans une portée comportant plus de mâles étaient plus agressives (un effet de la testostérone), ce qui peut favoriser l'accès à la dominance. Ainsi, le fait que les mâles ayant de nombreuses sœurs deviennent moins souvent dominants pourrait s'expliquer de la même manière, par le fait que ces mâles aient été exposés à plus d'œstrogènes et présentent des caractéristiques plus féminisées.
Après ces considérations physiologiques, venons-en aux images !
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Le statut de dominance ne se détermine pas facilement via de simples observations. Selon Hackländer
et al. (2003), un critère fiable, sur des individus en main, est d'examiner le développement du scrotum (pour les mâles) ou des mamelles (pour les femelles).
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Dominant ou pas, tout le monde doit s'adonner aux joies du broutage !
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Un petit regard curieux jeté aux alentours.
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Et voici qu'une joute se prépare ! Les assaillants se dressent et les dents s'entrechoquent !
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Comment savoir s'il s'agit d'un combat sérieux ou d'un amusement ?
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Il ne semble pas y avoir d'animosité et la confrontation cesse bien vite.
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Lorsqu'en plus le duel se termine par des léchouilles, tout semble indiquer qu'il s'agissait d'une interaction amicale.
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Un petit sourire au photographe ?
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Allez, encore un portrait ! Comment résister à ce petit museau ?
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Petit hors-sujet pour finir : en rentrant de l'une de mes randonnées dans les Gorges de Malpasset, je suis tombé sur ce bouquetin qui était très peu éloigné. Mes connaissances sont limitées sur cette espèce mais je pense qu'il s'agit d'une femelle au vu de la taille des cornes.
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Elle semble m'ignorer, je me fais donc discret pour la regarder vaquer à ses occupations.
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Une tête à cornes dépasse du rocher et semble observer la vallée.
C'est tout pour cette fois !
La semaine prochaine nous parlerons des divorces chez les marmottes !
Merci d'avoir lu, et à bientôt !
Références :Dewsbury, D.A., 1990. Fathers and sons: genetic factors and social dominance in deer mice,
Peromyscus maniculatus.
Animal Behaviour,
39, 284–289.
Dupont, P., Pradel, R., Lardy, S., Allainé, D., Cohas, A., 2015. Litter sex composition influences dominance status of Alpine marmots (
Marmota marmota).
Oecologia,
179, 753-764.
Hackländer, K., Arnold, W., 2012. Litter sex ratio affects lifetime reproductive success of free living female Alpine marmots
Marmota marmota.
Mammal Review,
42, 310–313
Hackländer, K., Möstl, E., Arnold, W., 2003. Reproductive suppression in female Alpine marmots,
Marmota marmota.
Animal Behaviour,
65, 1133-1140.
Hansen, B.T., Slagsvold, T., 2004. Early learning affects social dominance: interspecifically cross-fostered tits become subdominant.
Behavioral Ecology,
15, 262–268.
Lardy, S., 2012. Evolutionary consequences of intra-sexual competition in social species. The example of the Alpine marmot (
Marmota marmota). PhD thesis, Université Claude Bernard Lyon 1, Lyon.
Poisbleau, M., Fritz, H., Valeix, M., Perroi, P.Y., Dalloyau, S., Lambrechts, M.M., 2006. Social dominance correlates and family status in wintering dark-bellied brent geese,
Branta bernicla bernicla.
Animal Behaviour,
71, 1351–1358.