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Projet d'éoliennes dans les Vosges : coup de gueule de Vincent Munier !


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Lorsque l’énergie renouvelable tente de s’imposer aux dépens de la biodiversité… Un paradoxe ? En fait, un vrai danger, qui plane au-dessus des crêtes vosgiennes, entre le col du Bonhomme et le col du Louschbach : cinq éoliennes au pays du Grand Tétras, espèce au bord de l’extinction, qui n’avait nul besoin de cette menace supplémentaire.
Historiquement il s’agissait d’abord d’un projet interdépartemental comportant 6 éoliennes : 3 coté vosgien et 3 côté alsacien. Les Vosges (région Lorraine) ont refusé le projet. Raison ? Dégradation du paysage. Le porteur de projet, Ostwind, a donc totalement basculé sur l’Alsace. La plaine d’Alsace, où souffle trop rarement le vent, n’offrant pas le site idéal pour l’implantation d’éoliennes, Ostwind a tourné le regard vers les crêtes vosgiennes, l’un des paysages les plus spectaculaires du Nord-Est de la France. Quitte à le défigurer… Mais là ne se limite pas le danger. C’est le lieu d’une grande biodiversité qui ne manquera pas d’être altérée par cette intrusion prévue sur une zone d’habitat du Grand Tétras. Ce coq de bruyère est l’oiseau emblématique par excellence de notre massif, l’un des plus beaux symboles des forêts à haute naturalité, riches en espèces animales et végétales. Le danger qui guette ce magnifique animal n’est pas une vue de l’esprit d’écolo-paranos. Quelques chiffres suffisent à prendre la mesure des dégâts : on recensait 500 grands tétras en 1972, 350 en 1989, et seulement 100 en 2007… (Source : Groupe Tetras Vosges/ ONCFS ) Combien en restera-t-il en 2010 ? Ces dernières années, les acteurs de la montagne dont le CSL (Conservatoire des Sites Lorrains), le GTV (Groupe Tétras Vosges), l’ONF (Office National des Forêts) et le PNRBV (Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges) ont énormément travaillé en faveur de cette espèce, notamment dans le cadre de la mise en place des périmètres Natura 2000. Et les résultats sont là : la population ne régresse plus. Sur certaines zones, elle a même augmenté. Il y a donc bel et bien un espoir !
Ou plutôt il y avait un espoir… jusqu’à ce que surgisse cette idée incongrue d’éoliennes dans le paysage. Et cela à guère plus d’un kilomètre d’une des places privilégiées par cet oiseau pour y réaliser sa parade nuptiale, en période délicate de reproduction, pour laquelle la plus grande tranquillité lui est impérativement nécessaire. On vient soudain y semer le trouble alors même qu’on y avait apporté la preuve qu’un effort commun peut arrêter un processus de régression. Alors, bien sûr, non contents des conclusions des spécialistes vosgiens et pour donner le change, deux experts tétras choisis et payés par OSTWIND ont été dépêchés des Pyrénées et du Jura afin d’évaluer l’impact des éoliennes sur la zone, experts qui ont pris grand soin d’éviter de rencontrer les spécialistes vosgiens de l’espèce et qui, après une seule journée sur le terrain, en compagnie du porteur de projet Ostwind, ont délivré des conclusions d’une déconcertante légèreté. A commencer par des références au tétras lyre, une autre espèce de gallinacé qui ne présente pas du tout la même biologie.
Nulle part dans le rapport rendu par ces experts - visiblement débarqués avec un à priori favorable au projet - il n’est fait mention de la situation critique de l’oiseau, dont la population s’avère la plus fragile de France ! Et c’est pourtant bien elle qui va, dans les faits, servir de « cobaye » pour évaluer l’impact des éoliennes sur l’espèce. Nombre de données nous sont encore inconnues concernant cet oiseau et son environnement. Dans ces conditions, le bon sens voudrait que s’applique le principe de précaution. Manifestement il fallait coûte que coûte démontrer la totale innocuité de ces cinq éoliennes sur leur site d’adoption. Mais le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Le piètre bilan énergétique de ces cinq appareils justifie-t-il qu’on défigure les crêtes vosgiennes (hauteur totale de 149 mètres à comparer aux 142 mètres de la cathédrale de Strasbourg…), l’un des derniers bastions de la nature sauvage dans le Nord-Est de la France ?
Mon métier de photographe naturaliste m’amène à réaliser des conférences et projections partout dans le monde. Et donc à montrer les clichés de ma région, les Vosges. Récemment des personnes comme Kathy Moran (chief editor photo du National Geographic de Wahsington) ou Rosamund Kidman Cox (chief editor du BBC wildlife magazine) se sont dites subjuguées par la beauté de ce massif à cheval sur la Lorraine et l’Alsace. Et avouaient leur surprise de ne pas en avoir entendu parler ! Car oui, les Vosges offrent ce caractère unique qui fait d’elles un magnifique écrin de nature, où se logent des perles rares et précieuses, dont le Grand Tétras. Mais pour combien de temps encore ?
Ce projet, s’il prend corps, engage la marche arrière dans la lutte contre l’extinction du Grand Tétras. Peut-on se permettre ce luxe ? Il est si facile de faire disparaître une espèce… Apparemment certains ne s’embarrassent pas de ce genre de questions. L’homme s’impose. Toujours un peu plus. Et s’interroge peu. A coup d’arguments fallacieux balancés pour la forme, il chasse d’un revers de main indifférent des questions aussi « secondaires » que le devenir des espaces naturels et des espèces sauvages. C’est que le tétras joue, bien malgré lui, les empêcheurs de développer en rond (le tourisme, les routes, les exploitations en tous genres), tout en ayant « l’indécence » de ne pas rapporter un sou. Encore que ce coq de bruyère est un fleuron régional, le symbole de la richesse de notre milieu naturel. Mais comment traduire cette qualité en espèces sonnantes et trébuchantes ? La prise de conscience de l’importance, de la richesse d’un habitat authentique accueillant une faune diversifiée ne pèse pas lourd dans la balance économique… Pire, l’argent tout puissant a même réussi l’exploit de faire baisser leur garde aux protecteurs locaux : quelques subventions supplémentaires opportunes, saupoudrage de mesures dites compensatoires, et certaines associations se sont détournées de la question… Quelle tristesse.
Il n’est pas question de remettre en cause l’urgence, à tous les niveaux, de développer de nouvelles énergies, renouvelables qui plus est. Mais dans la précipitation, prenons garde de ne pas sacrifier un pan de la nature pour en sauver un autre. Car lorsque le processus de destruction est engagé en matière de biodiversité, il s’avère extrêmement difficile de faire machine arrière. En l’espèce, il est urgentissime de s’en remettre au bon sens sans se laisser polluer par les sirènes, séduisantes mais purement mercantiles, de certains élus, de quelque bord politique qu’ils soient, et de certainspromoteurs de projets. Le Grand Tétras vaut bien mieux que ça. Le développement durable, ce n’est pas le sacrifice de la biodiversité, sur l’autel de énergies renouvelables.

Vincent Munier ,
Le 31 janvier 2008

 


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