boutique
Forum Image et Nature
boutique
blog Image et Nature










Interview du film : La quête d'inspiration


Deprecated: Function ereg_replace() is deprecated in /home/imagenat/www/actualites.php on line 283
Image & Nature - Bonjour à vous deux, tout d’abord, pouvez-vous vous présenter en quelques mots, pour celles et ceux qui ne vous connaîtraient pas encore.
Alexandre Deschaumes : Bonjour, je suis photographe de paysages et portraits oniriques, autodidacte depuis 2003 environ.
Mathieu Le Lay : Et moi je suis auteur et réalisateur de films documentaires depuis ma sortie de l’IFFCAM (ndlr : école de cinéma animalier) en 2008.


I&N - Vous avez tous les deux une certaine attirance pour les paysages, et l’Homme face à cette nature grandiose. D’où cela vous vient-il ?

M.L.L : Pendant toute mon enfance, mes parents m’ont toujours offert du temps dans ce vaste espace de liberté qu’est la nature. Je passais la majeure partie de mes journées dehors, en forêt ou le weekend sur les grandes plages bretonnes pour me dépenser dans les dunes avec mon petit frère. J’ai progressivement ressenti tout le bien être que je pouvais puiser dans la nature, à quel point elle pouvait éveiller nos sens. Dans mon parcours scolaire, j’ai choisi d’orienter mes études vers l’écologie et en 2005 j’ai effectué un stage de deux mois en Australie. C’était ma toute première expérience d’aventure solitaire, loin de chez moi. Travailler dans un parc naturel australien en tant que ranger au cours de ce séjour m’a profondément marqué et bouleversé : je voulais plus que tout travailler dehors, au contact de la nature. La découverte de l’IFFCAM m’a permis d’associer ma passion pour le cinéma avec celle pour la nature. Aujourd’hui, le documentaire constitue un bel outil pour m’exprimer librement sur des sujets qui me passionnent, comme ceux où l’homme interagit avec la nature. Ce sont des sujets qui me parlent.

A.D : Je trouve que la nature nous aide à nous retrouver nous-même, à approcher de l’essence originelle. Les lieux inspirants et sauvages éveillent en moi des fascinations nouvelles qui me rapprochent d’une certaine forme de spiritualité. Tout semble présent dans la nature, le mystère, la puissance, la douceur, la finesse, la violence … le spectre créatif est immense.


I&N - Mathieu, Alexandre est actuellement à l’affiche de ton film, peux-tu en faire le « speech » ?

M.L.L : Il s’agit d’un film documentaire d’auteur dont l’approche se veut très intimiste. Je me suis efforcé de comprendre la démarche et la personnalité d’Alexandre pour que le public puisse au mieux entrer en immersion dans son univers. Mon travail a été de retranscrire en vidéo les ambiances que l’on peut retrouver dans son travail photo, des ambiances sombres, dramatiques, parfois mélancoliques. Tout s’articule autour de la quête de l’image éthérée, cette recherche constante d’inspiration, en évoquant aussi les pertes d’énergie dues à l’épuisement, aux remises en question, à la nécessité de renouveler son art. C’est tout le travail dans des conditions parfois difficiles (températures très basses, vents violents) et les dépenses d’énergie que cela implique que je voulais aussi montrer au travers du film.

I&N - Comment t’es venue l’idée de ce documentaire ? Vous connaissiez-vous déjà avant ?

M.L.L : Tous mes sujets de film émanent de fascinations personnelles. J’ai moi-même été séduit pas le travail et l’univers d’Alexandre que j’ai découvert par le biais d’Antoine Rezer, un ami photographe que nous avons en commun. Alexandre ne fait pas seulement de belles images, il sait aussi y mettre de sa personne dans son travail. C’est un être solitaire qui se connaît intérieurement, s’est découvert très jeune et lorsque vous apprenez à le connaître, c’est tout un monde nouveau et envoûtant qui s’ouvre à vous. Il s’inspire de musiques et d’artistes assez particuliers qui nourrissent ses visions pour composer et sublimer les scènes de paysage dans la nature.


I&N - Alexandre apparaît aux côtés d’une autre protagoniste sur certaines scènes, vous n’êtes donc pas partie seulement à deux. D’autres personnes ont donc participé au film ? Quel a été leur rôle ?

M.L.L : Effectivement, plusieurs sorties sur les tournages du film se sont déroulées en groupe. J’ai pour ma part rencontré Xavier Jamonet et Sarah (ndlr : Ambre de l’Alpe) par le biais d’Alexandre qui les connaissait déjà auparavant. Nous avons très vite expérimenté des sorties à plusieurs au lancement des tournages à l’automne 2011 et puis nous avons poursuivi tous ensemble ces sorties en montagne puisque l’entente et l’entraide étaient bonnes. La dimension humaine autour du projet prenait ainsi de l’ampleur. Nous avons partagé des moments inoubliables en Patagonie ou sur les sommets alpins lors de bivouacs hivernaux.

A.D : Oui, Ambre qui apparait dans le film aux Cerces est une amie et ancienne élève de photo avec qui j’ai beaucoup partagé. Certaines de nos sorties se sont faites à plusieurs, pour le plaisir du partage et pour l’entraide.


I&N - Hormis le fait que tu sois le personnage principal du film, quel a été ton rôle Alexandre dans la réalisation de ce projet ?

A.D : J’ai pris part au rendu esthétique et atmosphérique du projet, à ma façon, en complément de la vision de Mathieu. Nous sommes tous deux équipés en appareils reflex pro canon, nous avons donc pu échanger nos objectifs, filtres, etc… Mes choix d’objectif en focale fixe très lumineux ont permis à Mathieu d’approcher un coté plus mystérieux dans certains suivis, comme avec le 85 mm f/1,2, laissant une grande part suggestive et rêveuse, comme j’utilise dans mes portraits. J’ai également apporté mon habitude de style d’image et de composition à l’ultra grand angle, accompagné de filtres dégradés LEE, pour créer une mise en scène plus envoutante, proche du rendu de mes photos. J’étais en quelque sorte « chef opérateur » sur le film. Dans les moments créatifs quand nous arrivions sur une scène potentielle, chacun cherchait des cadrages puis on tranchait sur les plus pertinents. On peaufinait alors ensemble le rendu esthétique jusqu’à qu’il nous convienne. Les prises s’enchainaient ainsi. Certains choix musicaux et compositions personnelles ont aussi pris part dans l’ambiance générale. Je suis également musicien et inspiré de groupes souvent assez peu connus dans des milieux parallèles, et c’était important de rester connecté à cette ambiance éthérée sur tous les aspects.


I&N - Comment se sont déroulées les prises de vue sur le terrain, y avait-il un scénario pré-écris ?

M.L.L : Dans l’élaboration de ce projet, j’ai souhaité mettre par écrit l’idée du film et mes intentions au travers de sa réalisation. Il était en revanche plus difficile de développer un réel séquencier précisant le déroulement des événements en fonction des lieux que nous allions explorer. En documentaire, la part d’inattendu intervient toujours avec force et constance; le hasard et l’incontrôlable font partie intégrale du scénario et c’est aussi, selon moi, ce qui en fait toute la magie.

A.D: Même si j’adore passer du temps à repérer des lieux hautement inspirants, nous nous sommes souvent laissés guidé par les conditions et toutes sortes de détails qui permettaient une nouvelle idée. Le maître mot a été inspiration, c’est elle qui nous guide. Les meilleures séquences ont été créées uniquement par des impulsions venant d’une « énergie » lorsque nous découvrions quelque chose d’enivrant. Et beaucoup d’autres séances bien prévues et cadrées ont été jetées à la poubelle car beaucoup trop conventionnelles et moins spontanées.


I&N - Dans quels pays se déroulent les scènes du film ? Ces décors naturels ont-ils étaient choisis pour des raisons particulières ?

M.L.L : Les principales scènes du film se déroulent dans les Alpes (près de chez nous en Haute-Savoie) et en Patagonie car nous avons vécu une immersion d’un mois dans ces contrées lointaines d’Amérique du Sud. D’autres scènes ont été filmées à l’occasion d’un voyage photo en Islande et en Bretagne sur un tournage plus ponctuel à Ouessant, une île que j’affectionne particulièrement. Mise à part la Bretagne, les destinations et lieux spécifiques ont été choisi par Alexandre car lui-même les avait déjà beaucoup exploré. Dans les Alpes, ce sont des endroits qu’il connaissait parfaitement à la suite de ses nombreuses explorations solitaires. Pour la Patagonie et l’Islande, Alexandre avait déjà réalisé des séjours photographiques auparavant. Pour les tournages, la Patagonie faisait notamment l’objet d’une expédition inédite de 8 jours, qu’il avait longtemps réfléchi auparavant, autour du Mont Fitz Roy, une montagne mythique située dans le parc national Los Glaciares en Argentine.


I&N - Sur combien de temps s’est écoulé le tournage ?

M.L.L: Les tout premiers tournages ont commencé à l’automne 2011. Nous n’avions alors pas encore de production ni de diffuseur engagé, mais Mona Lisa Production était très attentif à mes propositions de films et j’ai donc à nouveau collaboré avec eux sur ce projet. De nombreuses sorties se sont organisées pendant l’automne et l’hiver. Les voyages en Patagonie, en Bretagne puis en Islande sont venues apporter beaucoup de diversité aux paysages filmés et nous avons finalement dû terminer les tournages à l’automne 2012 (contrainte de temps et de délai dans les productions de films pour la télévision).


I&N - Pour peu que l’on connaisse un peu les photographies d’Alexandre, les images du film retranscrivent à merveille son univers. Cela a-t-il était un défi pour toi Mathieu ?

M.L.L : Techniquement parlant, j’ai utilisé le même matériel qu’Alexandre pour qu’on se rapproche le plus possible du rendu de ces images. On avait la chance de travailler avec le même matériel sur ces tournages : le Canon 5D Mark II & III. Il était possible de s’échanger et de se prêter nos objectifs pour les prises de vue. Le défi n’était pas réellement technique, il était plus de pouvoir ramener de belles images en vidéo de lieux inspirants dans des conditions souvent extrêmes comme en Patagonie au coeur des tourments (fort vent et pluie qui compliquent énormément la prise de vue et la prise de son).


I&N - Quel est l’avantage de filmer avec un reflex numérique ?

M.L.L: Le poids, la légèreté mais aussi le coût par rapport aux grosses caméras numériques ! Ces boîtiers DSLR ont un rendu très cinématographique qui m’a séduit dès les premiers instants d\'utilisation (j’ai découvert ces boîtiers sur les tournages de la série “La France Sauvage” - Arte).


I&N - Quels matériels spécifiques a été utilisés pour le tournage ?

M.L.L: Ce projet a été l’occasion de tester du nouveau matériel dans lequel j’avais investi : le glidecam HD 2000, un steadycam qui permet de réaliser des images stabilisées tout en mouvement. C’était l’outil idéal et indispensable pour suivre Alexandre évoluant dans les grands espaces sauvages. J’ai aussi beaucoup expérimenté les rails de travelling aussi bien en vidéo qu’en timelapses (assemblage de photos prises successivement sur une période définie). Enfin, j’ai cadré mes premières images aériennes avec le pilote de drone Yoann Périé, un bel outil pour rechercher des angles nouveaux depuis le ciel. Cela apporte un plus au niveau du dynamisme et encore un peu plus de grandeur aux paysages traversés.


I&N - Cela n’a pas été trop difficile d’emmener tout cela dans des coins reculés ?

M.L.L: Pour l’expédition en Patagonie, c’était trop... Nous avons porté des charges de plus de 30 kg. Les lanières des sacs cisaillaient nos épaules, on boitait à la fin de chaque journée. C’était assez irraisonné de notre part de penser que nous pourrions amener tout ce matériel sur les hauteurs, en traversant pierrier et glacier.




I&N – Quelles ont été les autres difficultés liées au terrain ?

A.D : Beaucoup de matériel cassé, endommagé, perdu, volé… Le tout sur nos frais personnels. C’était physiquement et mentalement assez intense, notamment en Patagonie.


I&N - Justement, l’on te voit à plusieurs reprises dans le film prendre pas mal de risque ou affronter des conditions difficiles pour réaliser tes images. Cela fait-il parti de ta démarche artistique ?

A.D: Je ne cherche pas volontairement le risque pour le risque, et paradoxalement, je suis globalement quelqu’un de plutôt peureux dans plein de situations. C’est juste que… dans mon processus d’évolution je me suis rendu compte que pour accéder à des points de vus plus originaux et plus en phase avec l’ambiance que je recherche, je suis amené à m’exposer davantage au risque. L’environnement devient plus expérimental et chaotique, le cli-mat, tout est glissant, plus com-pliqué d’accès, plus long, plus loin… Mais ce qui me donne le courage c’est encore une fois l’inspiration, car je sens qu’en m’approchant de cette façon j’effleure quelque chose de plus particulier, de plus enfoui, de plus primordial et envoutant. Déjà pour moi-même, mais ensuite pour ceux qui, éventuellement, regar-dent les images.


I&N - J’imagine que la post-production n’a pas non plus été une tâche facile ?

M.L.L : J’ai travaillé de nombreuses heures pour trier la quantité d’images ramenées des tournages, puis pour prendre certaines décisions que nous avions l’habitude de prendre à deux. Le film monté comme il nous convenait durait 55 minutes, soit trois minutes de trop pour la livraison d’un 52 minutes aux diffuseurs. Enlever trois minutes à ce moment-là fut très difficile... L’enregistrement de la voix-off par Alexandre était aussi un exercice peu évident pour quelqu’un qui n’est pas habitué à poser sa voix en studio. Il me semble aussi important de préciser que la réalisation de ce film s’est effectuée avec très peu de moyens en production. Il y a une part d’investissement personnel qui n’est pas négligeable pour pouvoir concrétiser ce projet.


I&N - Quelque chose que vous changeriez dans le film si c’était à refaire ?

A.D: Personnellement j’aurai voulu arriver exprimer davantage de moi-même, au niveau émotion, à travers les interviews spontanées ou aussi la voix-off. Peut être aussi qu’on aurait aimé davantage de progression lente et contemplative, un enchainement moins rapide (du au fait de devoir respecter exactement le temps de 52 minutes). J’aurai aimé qu’on puisse atteindre le Circo los altares (derrière le fitz roy en Argentine) et filmer l’expédition totalement dans ces décors incroyables.

M.L.L : La météo qu’on a eu lors du tournage en Islande ! J’avais tout imaginé, les conditions les plus sombres et mélancoliques, quelque chose de dantesque au niveau des ambiances, mais nous avons eu grand beau temps pendant les 10 jours de tournage... Cela fait partie du terrain, il faut l’accepter. On dit souvent que la photographie de paysage est une passion remplie de frustrations. Pour les cinéastes évoluant en milieu naturel, ça l’est aussi ! J’aurais aimé qu’on parvienne à réaliser ce tour du Fitz Roy (Patagonie, Argentine) mais nous nous sommes mal pris. On apprend encore en expérimentant des choses, en se fixant des objectifs et des défis. Cette expédition pourrait être retentée à l’avenir dans d’autres circonstances.
On avait imaginé beaucoup d’autres images et mises en scène autour d’Alexandre, mais le temps et l’argent nous ont manqué, les saisons passent très vite et il faut aussi s’occuper de tout ce qu’il y a en dehors des tournages.

I&N - Le film a déjà était projeté dans différentes salles de cinéma, ainsi
que diffusé sur des chaines comme Ushuaïa TV ou Montagne TV. Comment a-t-il était reçu par le public ? Vous attendiez-vous à cela ?

M.L.L: Ce qui m’a réellement surpris, c’est le nombre de retours autour du film. Après la diffusion de la bande-annonce ou les premières diffusions TV, nous avons tous les deux reçu de nombreux messages de la part de personnes qui ont pu voir le film et l’apprécier à leur manière. Quelques articles et communiqués ont été publiés au moment de sa sortie et l’article qui m’a fait le plus plaisir reste à ce jour cette belle critique obtenue dans Télérama. Mais pour avancer et progresser, je trouve important de recevoir des critiques négatives. Cela est très constructif pour la suite.


I&N – Comment peut-on se procurer le film ?

M.L.L: Un DVD et Blu-ray sont en vente sur nos sites Internet respectifs (rubrique films). Le contenu est relativement important (près de 300 minutes de vidéo). On a souhaité montrer tous les à-côtés avec les coulisses de la réalisation du film, les moments de galères, les chutes, les moments de partage en équipe et bien d’autres aspects encore...


I&N - Des projets communs à l’avenir ?

M.L.L: Justement... Nous sommes en pleine réflexion sur un autre projet commun, plus conséquent celui-ci, avec surtout plus de moyens en production et qui s’étalerait sur plusieurs années. Il s’agira d’explorer des endroits plus ou moins méconnus, en se fixant des objectifs précis à atteindre. Nous avons déjà en tête plusieurs idées d’épisode, orientées vers la découverte de régions naturelles fascinantes et intrigantes. L’idée est bien là, la forme l’est un peu moins. On a encore besoin de réfléchir.


I&N - Quels sont tes projets futurs Alexandre ?

A.D: Il est très dur et abstrait pour moi de « gérer » les retours de tout ce travail, l’aspect plus concret comme la partie commerciale, je suis noyé dans une sorte de chaos nouveau et il faudrait que j’apprenne à gérer ça un petit peu. 4 voyages photos sont prévus en 2013 (Patagonie, Islande Juin et Septembre, Alpes) et déjà bien remplis, je vais essayer de peaufiner des nouvelles destinations et programmes pour la suite. J’ai aussi personnellement envie d’aller explorer des nouvelles zones et de voir comment mon regard évolue. En me sentant juste libre, sans pression, sans but particulier, pour ressentir et me laisser guider. Peut-être aussi me remettre à la musique ou je ne sais quoi d’autre qui permettra d’alterner les flux créatifs.


I&N - Et toi Mathieu, j’ai entendu dire que tu travaillais actuellement sur un film en lien avec l’Homme et les parcs nationaux ? Peux-tu nous en dire un peu plus ?

M.L.L: Je n’ai pas eu le temps de souffler et prendre un peu de recul par rapport à ce nouveau projet très dense. J’ai enchaîné sur la réalisation d’un film de commande pour le parc national des Ecrins qui va s’étaler sur 2013. Le film sera destiné à mettre en valeur le territoire des Ecrins en évoquant les principaux enjeux du parc. J’ai aussi un projet plus solitaire et personnel aux Etats-Unis au début du printemps qui je souhaite tourner et réaliser à la manière d’un road movie et qui consistera à explorer les paysages du Nord-Ouest américain.


I&N - Et bien merci à vous deux, et surtout bonne continuation dans ces beaux projets !

 


Retour